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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Ces lignes, de Catulle Mendès[1], au travers desquelles on sent comme le trouble d’une émotion, qui honore à la fois le Maître et le Disciple, ne jette pas seulement de la lumière sur le salon littéraire de Leconte de Lisle : elle éclaire avec vérité son caractère. Une froideur, si on peut dire « physique », une hauteur d’apparence, propre à inspirer de l’inquiétude, frappait au premier abord. Lui-même il n’ignorait point cet aspect extérieur de sa personne, ni l’effet que produisaient, autour de lui, les accès de colère où, dès son adolescence, il se laissait entraîner : « Je suis emporté de caractère, têtu et capable, quand je


    popularité, Leconte de Lisle a réuni autour de lui une École, un Cénacle de jeunes poètes qui l’admirent avec raison, car il a toutes les qualités d’un Chef d’École… »

  1. Catulle Mendès, a défini avec précision, l’état d’esprit de cette phalange, dont il était un des glorieux représentants lorsqu’elle décida de se rallier à Leconte de Lisle comme à son porte-drapeau : « Ce qui nous manquait, dit-il, c’était une ferme discipline, une ligne de conduite précise et résolue. Certes le sentiment de la beauté, l’horreur des niaises sensibleries qui déshonoraient alors la poésie française, nous les avions ! Mais quoi ! si jeunes, c’était en désordre, et un peu au hasard, que nous nous jetions dans la mêlée et que nous marchions à la conquête de notre idéal. Il était temps que les enfants de naguère prissent des attitudes d’hommes, que notre corps de tirailleurs devînt une armée régulière. Il nous fallait la règle, une règle imposée de haut et qui, tout en nous laissant notre indépendance intellectuelle, fit concourir gravement, dignement nos forces éparses, à la victoire entrevue. Cette règle, c’est de Leconte de Lisle que nous la reçûmes… »

    Cette royauté, morale et littéraire, irritait les adversaires du poète parnassien. Veuillot écrivait : « En philosophie comme en poésie, Leconte de Lisle est un pontife. Au Parnasse Contemporain, passage Choiseul, on le considère beaucoup. Quarante-neuf enfants d’Apollon, garçons, filles et vénérables, garnissent ce Parnasse, tous grands rimeurs et la plupart pareils au puellus inagri de l’Écriture, le petit de l’onagre, qui dresse son oreille pointue vers le ciel et qui dit : « Je suis libre ». Nulle part ne sont plus dédaignés le Dieu des chrétiens et le Boileau des français. Dans cette fière volière M. Leconte de Lisle tient rang de coq (ou kok). Il a plus de grec, plus d’hébreu, plus de sanskrit, il distribue le k avec plus d’abondance, il fait avec plus de facilité le vers difficile, et la flèche de son esprit frappe plus avant au cœur de Iaveh ! Heureux oncle Katïn, d’avoir trouvé cet Homère ! »

    La Vérité, 1869.