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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/330

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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

une tour d’ivoire, des poèmes sont sortis, avec une discrétion un peu hautaine, à laquelle j’applaudis…[1] »

Le fait est que Leconte de Lisle réussit, assez vite, a dominer, au moins aux yeux de ses contemporains, cette sensibilité frissonnante qui faisait de lui une proie offerte à toutes les émotions. Flaubert, qui venait de faire sa connaissance écrivait en 1853 dans sa correspondance : « Le sieur Leconte de Lisle me plaît : j’aime les gens tranchants et énergumènes. On ne fait rien de grand sans le fanatisme. »

Mais ce ne sera point sans lutte que le poète de Bourbon se conquérera sur la soucieuse indolence de son enfance, sur cette faiblesse, qu’à vingt ans, il avouait à ses parents et qu’il sentait en soi « plus dangereuse- que la propension à mal faire » ; sur les « remords », auxquels il fait une place, dans l’Illusion suprême, au milieu de la rapide énumération de ce qui est, à peu près, le tout, douloureux de la vie : « peines, combats, remords. »

Il n’atteindra la paix que le jour où il aura fortifié, en soi, la certitude qu’il est venu au monde pour l’accomplissement d’un devoir particulier, et que ce devoir est la production de l’œuvre d’art. De là le trouble profond où il tombe chaque fois que les vapeurs du désir obscurcissent passagèrement son esprit, engourdissent son intelligence créatrice, ou que la volonté de l’action politique le reprend. Alors, il sent, profondément, qu’il vient de manquer à cette discipline individuelle que le Catholicisme a nommée « les devoirs de l’état ». Et, jusque au fond de son âme, il est bouleversé.

On pourrait multiplier les exemples de la conscience avec laquelle il s’habitua à remplir ses obligations professionnelles. Nommé bibliothécaire du Sénat[2], jamais il n’oublia d’aller à son bureau, s’asseoir, de midi à quatre heures, derrière sa petite table : « Il était un fonctionnaire modèle.

  1. Nain Jaune, 1864.
  2. Il exerça ces fonctions de 1872 jusqu’à sa mort 1894.