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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/332

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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

« Non ! dit Magnus. Pourquoi Dieu m’a-t-il forgé l’âme
De façon qu’elle rompe et ne puisse ployer ?
Puisqu’il l’a faite ainsi, qu’il en porte le blâme…[1] »


L’orgueil a été, d’ailleurs, le plus sûr bouclier que Leconte de Lisle ait eu à sa disposition, pour se protéger contre l’envie et la haine. À ceux qui attaquaient sa poétique, il répondait :

« … Les insultes imbéciles qui se sont soulevées autour de moi comme une infecte poussière, n’ont fait que saturer de dégoût la profondeur tranquille démon mépris[2] ».

Au même moment, il se servait d’une étude qu’il écrivait sur Hugo, pour traduire les sentiments que lui inspiraient les détracteurs systématiques de la poésie en général, et des maître-poètes en particulier :

« … Les piqûres envenimées, les insultes, les négations, ne le transformeront point. On ne fera jamais de cet aigle un volatile de basse-cour. On n’attellera pas ce lion à l’omnibus littéraire. Le prétendu orgueil du grand poète n’est autre chose au fond, que l’aveu pur et simple qu’il est ce qu’il est…[3] »

Leconte de Lisle se rendait compte qu’une telle intransigeance, la condamnait à l’impeccabilité morale. Longtemps, il avait eu la fierté de son désintéressement. La misère d’argent, subie avec un si noble stoïcisme pendant toute sa jeunesse, lui donnait le droit, pensait-il, de reprocher à certains « de vivre de la Muse » alors que, lui, se mourait, presque sans pain, de son amour pour elle. Aussi, jamais il ne laissait miroiter, dans son vers, le reflet de l’argent, sans anathémiser la tentation qu’il représente :


« … L’idole au ventre d’or, le Moloch affamé
S’assied, la pourpre au dos, sur la terre avilie.[4] »


  1. « Le Lévrier de Magnus ». Poèmes Tragiques.
  2. « Étude sur Vigny ». Nain Jaune, 1864.
  3. Nain Jaune, 1864.
  4. « L’Anathème, 1843 ». Poèmes Barbares.