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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

précieuses « parce qu’il ne voulait pas distinguer, l’art et la poésie, de l’amitié », et que les femmes « s’accordent mal de ces partages » : « … J’ai rêvé comme un autre, d’amour, et de jours heureux écoulés, entre une femme aimée et un ami bien cher, mais ce n’était là qu’un songe…[1] »

De ce songe il ne sauve que sa foi dans l’amitié dont il dit :

« L’Amitié réelle n’est autre chose qu’un amour intellectuel[2].

Les deux faces de la vie de Leconte de Lisle — la politique, la littéraire — le mirent en relation avec des générations d’hommes, différents, comme les buts même vers lesquels leurs rêves étaient orientés. Autour des années 1848 et 49, le poète avait vécu au milieu d’une petite bande littéraire et robespierriste dont les héros sont rentrés, pour la plupart, dans une obscurité définitive. Les noms de Thalès Bernard, de Paul de Flotte et de Louis Ménard évoquent seuls encore, pour notre génération, des souvenirs précis[3].

Un lien, de qualité merveilleuse, exista certainement entre Leconte de Lisle et Louis Ménard, dont l’un devait entrer dans la gloire universelle, tandis que l’autre, malgré ses dons de génie, est demeuré dans l’obscurité d’une chapelle, où quelques dévots le vénèrent. Il serait curieux d’étudier quelle action et quelle réaction ces deux hommes exercèrent l’un sur l’autre. Leconte de Lisle aimait à répéter ce qu’il devait à cet ami érudit, linguiste, chimiste, peintre, historien, poète[4]. Quant à Ménard, il ne perdait pas une occasion de

  1. Rennes, 1842.
  2. Ibid.
  3. Les premiers amis littéraires de Leconte de Lisle avaient été A. Lacaussade, Sandeau, Barracand, Louise Colet, Louis Ménard, E. Arago, Gustave Flaubert, Théophile Gautier, Charles Baudelaire, Villiers de Lisle Adam, Léon Cladel, E. des Essarts, etc.
  4. M. Henri Roujon écrit à ce propos, dans son beau livre, Galerie de Bustes (1908) : « Louis Ménard, homme unique et généralement doué, encyclopédiste comme un Alberti, fut le maître, en hellénisme, de Leconte de Lisle ».