Aller au contenu

Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
323
L’HOMME

but, peu envié, en se gardant de flatter jamais les goûts grossiers et les caprices du jour, de complaire aux vanités stériles et de feindre, pour le jugement du public, un respect dérisoire.[1] »

Le ton d’ironie amère sur lequel Leconte de Lisle écrivait, à cette heure, son Histoire populaire du Christianisme avait suffisamment averti l’entourage du poète de l’intensité insupportable de sa souffrance Elle éclatait, d’autre part, dans des mots, qui, maintenant, jaillissaient de lui comme des éclairs, et dont il semblait foudroyer, ceux qu’il avait visés, avec l’impassibilité d’un Jupiter tonnant[2]. On eut dit que toute sensibilité, au moins le goût de mettre quelque chose de son cœur au jeu, fut pour un moment, aboli en lui, et que, le seul reflet qu’il permit à son génie de répandre autour de soi, dans la bise glacée où il marchait, fut le froid rayon de la pure et sévère intellectualité.

Le poète fut sauvé du péril, que couraient sa sensibilité et son amour de la justice, par l’affection de ceux qui avaient été les témoins de sa vie. Ils se rallièrent à lui dans l’épreuve imméritée qui l’accablait. Ils le réchauffèrent de leurs respects et de leurs tendresses. Ils rallumèrent, sur sa route, cette flamme qui devait éclairer, la fin de sa vie, d’un reflet d’apothéose.

Ce que l’on connaît de la façon dont Leconte de Lisle entendait l’amour, fait deviner que, dans sa vie, il réserva une grande place à l’amitié. Avec un homme de cette trempe il ne pouvait être question que d’amitié virile.

Dans des lettres que le poète écrit, à vingt deux ans, il met déjà la femme en dehors de ses préoccupations les plus

  1. « Étude sur de Vigny ». Nain Jaune.
  2. Il semble que Verlaine ait songé à de telles boutades lorsqu’au lendemain de la mort de Leconte de Lisle, il écrivit dans une chronique nécrologique : « On a déjà parlé, hier et aujourd’hui, des « mots » de Leconte de Lisle. Il me semble d’autant plus inutile de les lui reprocher, qu’ils sont justes pour la plupart, et que, quant aux autres, mieux vaut les taire… »