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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

des cieux » ; où, « … sur la pourpre des soirs » la montagne « souveraine » se dressait, telle qu’il l’avait adorée aux heures d’aurore, nageant dans l’air éblouissant, avec ses verts coteaux, ses cônes d’azur, ses forêts « bercées par la brise ».

Si l’on prenait la peine de noter, à travers l’œuvre du poète, les termes dont ri a caractérisé la vie végétale, — de la mousse aux arbres géants, — on s’apercevrait que la précision des mots dont il a usé est faite pour satisfaire, à la fois, un artiste et un botaniste. Là, comme ailleurs, il décrit avec tous ses sens en éveil. Il respire « mille arômes légers », émanant des feuillages. Telle plante, reparaît chez lui avec son épithète qui la suit pas à pas : la mangue est : « vermeille » ; la canne, « dont la peau d’ambre mûre s’ouvre au jus attiédi », est « grêle ». Le souvenir de leurs bruissements suit partout « les bambous éveillés, où le vent bat des ailes ». La sensation du « velours » accompagne les touffes de gazon ; l’impression de « défense » se hérisse avec les rideaux d’aloès ; le cactus « éclate », la liane semble « s’évader » de la vie végétale pour se faire la cousine du serpent :


« … Comme le reptile, en de souples détours,
La liane aux cent nœuds étreint les rameaux lourds,
Et laisse, du sommet des immenses feuillages,
Pendre ses fleurs de pourpre au milieu des herbages…[1] »


Cependant, au-dessus de toutes ces vies de plantes secondaires, se dressent les grands cèdres immobiles avec leurs larges bras :


« … Dans leurs germes, étouffant les arbres et les plantes
Et versant l’ombre immense aux nations tremblantes.[2] »


Ce roi de la forêt a été particulièrement cher au poète. Il lui est arrivé de le transplanter de sa montagne bour-

  1. « Çunacepa ». Poèmes Antiques.
  2. « Les Paraboles de Dom Guy ». Poèmes Barbares.