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L’ÉVEIL DU POÈTE

connaître que son ouïe merveilleuse ne l’a pas trompé : sous les lilas géants, c’était bien l’abeille camuse qui vibrait ; dans cette cloche de liane, c’était en effet un frelon qui s’endormait blotti, « gonflé de miel. « Rapide comme un trait », c’était bien la mouche d’or qui rôdait, bourdonnant dans l’air.

Et voici le grand lézard « dont la fuite étincelle à travers l’herbe rousse ». Sous cette pierre, se cache « l’araignée au dos jaune ». Où vole ce papillon, les deux ailes en fleur « teintées d’azur et d’écarlate ? » Il va se poser « sur la peau délicate » de quelque jeune fille, la première qui a pris le cœur du poète.

Si toute cette beauté n’est qu’un songe, pourquoi s’éveiller de ce songe ? Nous l’avons dit, la pensée de la destruction, de la mort, de l’absorption des êtres par les êtres, des vies par les vies, circule à travers l’œuvre entière du poète comme un leit motiv qui se mêle à tous les autres, quand il ne triomphe pas seul aux dépens de l’amour. Il reparaît ici, il s’approche avec la théorie des longues fourmis, traînant leurs ventres blêmes, elles :


« ... Ondulent vers leur proie inerte, s’amassant,
Circulant, s’affaissant, s’enrlant et bruissant
Comme l’ascension d’une écume marine.[1] »

Ceci est la tache d’ombre. Relevons les yeux vers la lumière.

La forêt vierge n’est pas seulement le royaume des plantes et des insectes ; elle est le paradis des oiseaux « aux becs d’or » qui, sur les bambous prochains, accablés de sommeil : « luisent en pleine lumière. » C’est l’oiseau bleu, hôte des maïs en floraison ; c’est le perroquet qui, splendide et querelleur, se balance sur les lianes ; c’est le cardinal, vêtu de plumes écarlates, qui va troubler les bengalis « dans leurs nids co-

  1. « La Mort de Valmiki ». Poèmes Antiques.