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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Ces bœufs là, « dont le poil est de neige et la corne d’argent », le poète les connaît depuis son enfance. Il les a vus, indolents et robustes, souffler leur haleine chaude, « humer l’air du ravin ». Il n’aura qu’à penser à eux le jour où, dans ses Poèmes Antiques, il écrira, en l’honneur du taureau olympien, sa célèbre pièce : Fultus Hyacintho. De même lorsqu’il voudra meubler ses mythologies de formes, d’apparitions d’animaux, il n’aura qu’à se souvenir, des bêtes qu’il a observées sur les flancs de l’île Bourbon, dans les rythmes de cette existence pastorale qui n’a pas changé depuis les jours antiques. Que de fois il a entendu, autour de lui, les sonailles de « l’indocile troupeau des chèvres au poil lisse », qui fait cortège à l’amoureuse Thestylis ? Que de fois il a souri en observant les lièvres, qui :


« … Dans le creux des verts sillons tapis
D’un bond inattendu remuant les épis,
Font pleuvoir la rosée en perles,[1] »


Pour le cheval, nul ne l’a peint mieux que Leconte de Lisle dans son ardeur de bataille et de charge, soit libre, soit aux mains de l’homme. Il aime la brûlante haleine que souffle la cavale « tandis que son poil noir écume et luit » ; il trouve un reflet humain à son œil bleu ; il chérit ses révoltes quand elle hennit, se cabre, « mord l’or du frein ».

Il a vu passer, sur les fonds de l’histoire, à l’heure sinistre des invasions, le cheval du barbare, qui, « bonds sur bonds, queue au vent, crinière échevelée » court en ronflant des naseaux. Il a évoqué, dans leur gloire, les étalons arabes ployant sur leurs jarrets, bondissant, les crins droits, leurs naseaux roses en feu :


« … Joyeux du bruit, des coups et des cris frénétiques,
Vous hennissiez, cabrés à la pointe des piques,
Vous enfonçant la mort au ventre, ô buveurs d’air…[2] »


  1. « Klearista ». Poèmes Antiques.
  2. « Le Suaire de Mohammed ». Poèmes Tragiques.