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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/47

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L’ÉVEIL DU POÈTE

On notera que beaucoup de pièces comme Les Hurleurs ; La Panthère noire ; La Chasse de l’Aigle ; La Jungle, etc. où Leconte de Lisle se plaira à décrire la nature et les bêtes, sans l’homme, datent de la période de son existence où il a vécu, blessé de désillusions et de chagrin. C’est une observation banale que de constater la place que prennent les animaux dans l’existence de ceux qui ont une vie sentimentale médiocre ou brisée. Il semble que ces âmes, dont la tendresse n’a pas eu, ou n’a plus d’emploi, trouvent, dans la fixité de l’instinct de l’animal, cette réponse à leurs avances, cette sécurité, que, vainement, ils ont cherchée ailleurs. Chez un artiste, cette disposition se magnifie. Tout le pessimisme, tout le grotesque, que soulève, chez un Maupassant, l’entrée de l’homme dans le paysage, ne s’apaisent-ils pas dès que l’écrivain parle de la terre, des arbres, de la force qui règle les mouvements d’un jeune taureau à l'herbage ?

À Bourbon, à Java, aux Indes, Leconte de Lisle avait aperçu des forces animales plus audacieuses, plus féroces, que le taureau au pré. Il semble, qu’aux heures amères de sa vie, ce fut dans la peinture de ces grands fauves, de leur férocité sans lois, de leurs cruautés dominatrices qu’il voulut soulager les violences de son âme. Ces admirations étaient un allégement à la rancœur qu’il éprouvait, de voir les supériorités de la sensibilité et de l’intelligence, incapables d’assurer, à un homme parmi les hommes, les mêmes royautés que la puissance de la griffe à un tigre, parmi les bêtes effarées.

    aux animaux des idées humaines il cherche à pénétrer l’âme obscure de ces êtres muets pour y lire leurs idées vagues et leurs rêves confus, et il y parvient, à force de panthéisme et d’objectivité. On s’intéresse à ces acteurs inconscients du drame multiple de la vie universelle. On est tenté de s’attendrir sur le vieux loup du Hartz et on comprend sa légitime fureur contre l’homme, l’ennemi héréditaire, le féroce meurtrier de sa fidèle louve et de ses louveteaux. Ce ne sont pas seulement des créatures vivantes, c’est une véritable psychologie… » Critique philosophique. Août 1887.