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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Le fait est que l’on voit ces glorieux carnassiers apparaître félins, menaçants, indomptés, à travers l’œuvre de Leconte de Lisle, tels qu’on les découvre, hérissant d’effroi et d’horreur les toits d’une cathédrale gothique. Ils y représentent, sous toutes leurs formes, ces puissances de destruction que le poète vénéra comme des déités favorites, mais aussi, ils sont peints pour eux-mêmes, pour la beauté formidable qui est enclose dans leurs formes de force. À ce point de vue, les raccourcis que Leconte de Lisle a tracé de la Panthère noire, du Jaguar, du Tigre, du Lion, du Loup, du Requin, resteront comme un commentaire en mouvement de l’œuvre plastique des grands peintres et des grands sculpteurs animaliers.

La panthère noire a beau être la plus petite, dans ce sextuor de destructeurs, sa couleur diabolique ajoute pour le poète, une note précieuse à sa férocité. Elle est la « noire chasseresse » qu’il a aperçue à Java, libre, souple, inquiète, glisser en silence, s’enfoncer sous la haute fougère tandis que :


« … Les bruits cessent, l’air brûle, et la lumière immense
Endort le ciel et la forêt.[1] »


Elle « miaule » ; ses yeux sont « aigus comme des flèches » ; en marchant, « elle ondule ». Des taches de sang « persistent sur sa robe de velours », car elle est évoquée avec sa proie sous les ongles, ce beau cerf qu’elle a mangé la nuit, et dont, sous le soleil, sur la mousse en fleurs, l’effroyable trace, rouge et chaude, saigne

Pour le jaguar, il entre en scène avec son épithète homérique, il est dit : « tueur de bœufs et de chevaux ». Sa vie féroce le revêt d’on ne sait quel aspect néronien, il est « fatigué et sinistre ». Un œil, qui voit tout, a observé la faculté qu’il a de « bossuer » ses reins musculeux ; d’ailleurs le poète

  1. « La Panthère noire ». Poèmes Barbares.