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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

la lecture des poèmes épiques, lyriques, tragiques, de sa chère Hellas. Et voici donc que :


« Telle qu’une jeune et joyeuse reine,
On voit émerger mollement Kypris
               De la mer sereine,
La Déesse est nue, et pousse en nageant,
De ses roses seins l’onde devant elle ;
Et l’onde a brodé de franges d’argent
               Sa gorge immortelle…[1] »


Ce n’est point là mythologie, mais vie divine. Le poète n’a pas imaginé ; il a vu, il fait voir. Épris qu’il est lui-même d’un don si rare, il recherche le motif qui lui permettra de mettre en lumière sa prodigieuse virtuosité. L’épisode de Léda et du Cygne, a séduit tous les peintres et tous les sculpteurs de l’antiquité, les artistes de la Renaissance et ceux du XVIIIe siècle, par l’occasion qu’il donne de mêler, dans la folie de l’amour, deux des formes les plus belles dont la création s’enorgueillit. Leconte de Lisle rêve de se mesurer, lui aussi, avec un tel sujet. Il sait que son instinctive pudeur sera un obstacle de plus sur la route ; loin de le décourager, la difficulté le séduit : il veut jouer contre sa réserve, sa précision ordinaire. De cet effort sortent des vers qui dureront autant que le souvenir même du mythe :


« Sur tes bras, ô Léda, l’eau joue et se replie,
Et sous ton poids charmant se dérobe à dessein ;
Et le Cygne attentif, qui chante et qui supplie,
Voit resplendir parfois l’albâtre de ton sein…[2]


Cette faculté unique s’exaltera chez Leconte de Lisle jusqu’à la fin de sa vie. Elle mettra à sa disposition des ressources, toujours nouvelles, pour traduire, en sonorités, en couleurs, en musiques, en effrois, en frissons, en gloires, tout

  1. « Médailles Antiques ». Poèmes Antiques.
  2. « Hélène ». Poèmes Antiques. »