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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

fureur sacrée, dont les prophètes d’Israël se sentaient touchés. Il l’obligeait à contempler, dans les détails de leurs horreurs, les haïssables supplices qui marquent, autant dire, toutes les étapes de l’histoire.

Contraint qu’il est d’assister, dans une hallucination qui le torture, à ces crimes des fanatismes, le poète veut au moins, que son dégoût serve à terrifier les hommes, à les éloigner à jamais de tant d’horreurs. Afin d’incruster cette épouvante dans nos consciences et dans nos moelles, il nous entraîne au pied des bûchers, il nous fait écouter, avec lui, les craquements du bois sec, il nous montre la flamme qui en sort, comme une langue écarlate, rampe jusqu’au ventre du supplicié, l’entoure comme un serpent. Et, lorsque nos yeux se détournent, il s’empare de notre ouïe, de notre odorat, il nous oblige à entendre, à sentir la peau du martyr « grésiller », se fendre comme un fruit mûr; il nous force à voir le sang jaillir « mêlé à la graisse blême », tandis qu’une sueur, « brûlante et rouge », ruisselle sur la face de l’agonisant[1].

Cette puissance créatrice du poète qui ne se connaît pas de limites, ni dans le temps ni dans l’espace, s’est plue à évoquer aussi le « gigantesque », cette exagération, contraire à la formule de beauté, dont la loi est dans l’harmonie et dans les proportions. Ce fut tout justement cette difficulté qui tenta Leconte de Lisle et qui lui donna le goût de nous faire assister à l’escalade de l’Olympe par les « Fils de la Terre » :


« Donc, du crime infini, formidables vengeurs,
Naquirent, tout armés, les Géants voyageurs,
Monstres de qui la tête était ceinte de nues,
Dont le bras ébranlait les montagnes chenues,
Et qui, toujours marchant secouaient d’un pied lourd
Les entrailles du monde, et jusqu’à l’Hadès sourd ![2] »


Le triomphe de l’évocateur apparaît, non dans la façon

  1. « L’Holocauste ». Poèmes Tragiques.
  2. « Khiron ». Poèmes Antiques.