Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
57
LA NATURE ÉDUCATRICE

Répandez, ô forêts, vos urnes de rosée !
Ruisselle en nous, silence étincelant des cieux !
Consolez-nous enfin des espérances vaines…[1] »


Il faut croire que ce magnifique appel fut entendu de la muette Puissance à laquelle il était jeté, car, plus tard, au déclin de sa vie, le poète trouvera des accents, dont la sincérité ne trompe point, pour remercier cette Nature divine, qui, si souvent, l’a repris sur son cœur, et, tout haletant, l’a serré entre ses bras :


« Ô mers, ô bois songeurs, voix pieuses du monde,
Vous m’avez répondu durant mes jours mauvais ;
Vous avez apaisé ma tristesse inféconde,
Et dans mon cœur aussi vous chantez à jamais ![2] »


Henry Becque a écrit : « L’homme finit dans son berceau. » Conformément à cette loi, il n’y a point de doute que, à travers son existence entière, et surtout vers la fin de sa vie, Leconte de Lisle ait été repris, par assauts, de cette passion de la Nature qui fut sa religion première.

Mais, au milieu de son existence de lutte et de pensée, la foi du poète, dans la réponse que l’Univers fait à l’homme pour l’encourager sur le chemin, sombra souvent en lui, pour faire place à la plus désespérée des négations. Il croit alors que son espérance a été vaine et, d’une année à l’autre, d’une œuvre à l’autre, dans son âme et dans sa vie, cette déception se précise : la bonté de la nature pour l’homme est « la plus amère des duperies ! » Alors, pourquoi l’implorer ?


« … Si rien ne répond dans l’immense étendue
Que le stérile écho de l’éternel désir,
Adieu, désert ? où l’âme ouvre une aile éperdue !
Adieu, songe sublime, impossible à saisir !…[3] »


  1. « Dies Irae ». Poèmes Antiques.
  2. « Nox ». Poèmes Antiques.
  3. « Dies Irae ». Poèmes Antiques.