Est-ce la Nature qui, ici, se détourne de l’Homme pour le punir de l’avoir désertée au profit des œuvres de la civilisation ? Est-ce le poète lui-même qui a changé ? Le fait est que l’interrogation, même l’ombre d’hésitation qui flottent encore dans ces vers, vont disparaître dans l’âme de Leconte de Lisle pour faire place à une rancune blasphématoire :
« Pour qui sait pénétrer, Nature, dans tes voies,
L’illusion t’enserre et ta surface ment :
Au fond de tes fureurs, comme au fond de tes joies,
Ta force est sans ivresse et sans emportement[1] »
Et encore :
« Homme, si le cœur plein de joie ou d’amertume,
Tu passais vers midi dans les champs radieux,
Fuis ! la nature est vide et le soleil consume :
Rien n’est vivant ici, rien n’est triste ou joyeux…[2] »
Ce sentiment, qui devait trouver ici sa formule définitive, a été exprimé déjà dans une pièce de jeunesse : La Fontaine aux Lianes où l’on sent passer sur l’adolescent comme le vertige du suicide. N’était-ce pas en effet lui-même, ce jeune mort, que Leconte de Lisle a voulu montrer, endormi au fond des eaux transparentes ? Il le pleure avec des accents déchirants :
« La Nature se rit des souffrances humaines ;
Ne contemplant jamais que sa propre grandeur,
Elle dispense à tous ses forces souveraines
Et garde pour sa part le calme et la splendeur…[3]
Lorsque le dernier asile vient à manquer à celui qui croyait s’être ménagé un suprême refuge, il n’a plus qu’à se tourner vers lui-même et, bravement, à faire face à la