Aller au contenu

Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
LA NATURE ÉDUCATRICE

mort. C’est là le mouvement que la tristesse imposera, un jour, à cet enfant du soleil, qui a débuté dans la vie de la pensée et de l’art, par la païenne adoration des forces naturelles. De désillusion en désillusion, une heure viendra où, du cœur du poète, jaillira, fatalement, un hymne à la Mort. Et ce poème atteindra, en beauté éperdue, les hauteurs où le même artiste a su monter pour louer, dans sa splendeur heureuse, la Vénus qui a engendré la vie :


« Et toi, divine Mort, où tout rentre et s’efface,
Accueille tes enfants dans ton sein étoile ;
Affranchis-nous du temps, du nombre et de l’espace,
Et rends-nous le repos que la vie a troublé ![1] »


Sera-ce donc, presque dès le début de son existence, dans le silence et l’engourdissement du tombeau, le mûrement d’une âme qui a tant espéré de la vie ? Non. À mi-chemin de ce vol qui va l’emporter dans la nuit éternelle, le poète se reprend. Il avoue que l’homme n’est pas sincère lorsqu’il réclame de la nature qu’elle « l’engourdisse », en ce majestueux abîme « où dort l’oubli sacré ». La vérité humaine, c’est que la vie veut vivre, dans ce monde, et au delà de ce monde, sans fin. Ces «larves vagabondes » que sont les hommes, aspirent à tourbillonner éternellement, dans l’espace. Les pieds sanglants, veulent gravir les seuils d’autres univers, les cœurs pleins de sanglots, veulent aller battre en d’autres seins. Et le poète n’est qu’un homme, plus homme que les autres. Une seconde, il peut mettre sa pensée en travers des lois de la vie, mais, aussitôt, il sent que cette opposition stérile est d’avance condamnée à la déroute :


« À de lointains soleils allons montrer nos chaînes,
Allons combattre encor, penser, aimer, souffrir ;
Et, savourant l’horreur des tortures humaines,
Vivons, puisqu’on ne peut oublier ni mourir ![2] »


  1. « Dies Irae ». Poèmes Antiques.
  2. « Ultra Coelos ». Poèmes Barbares.