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L’INDE

Trois Brahmanes — Maitreia, Narada, Angira — se sont associés pour pleurer en commun. Le premier porte en soi le souvenir d’une jeune fille qu’autrefois il a adorée ; le second est tourné vers la mémoire de sa mère qui est morte ; le troisième cherche, et doute.

Il semble, qu’à eux trois, ces hommes enferment, dans le cercle de leur lamentation, tous les types de la douleur du monde. Ils voudraient faire taire en eux la voix inlassable de la souffrance humaine.

C’est à Bhagavat que doivent aller ceux qui cherchent l’oubli : les Brahmanes entreprendront donc l’ascension de la montagne au sommet de laquelle siège l’Inspiré. Il leur apparaîtra comme une image élargie, divinisée, de ces Bouddhas que, sans fin, l’Inde exporte, à travers le reste du monde, comme des amulettes qui rendent sa sagesse visible :


« Ils virent, plein de grâce et plein de majesté,
Un Être pur et beau comme un soleil d’été,…
C’était le Dieu. Sa noire et lisse chevelure
Ceinte de fleurs des bois et vierge de souillure,
Tombait divinement sur son dos radieux ;
Le sourire animait le lotus de ses yeux,
Et, dans ses vêtements jaunes comme la flamme,
Avec son large sein où s’anéantit l’âme,…
Son nombril merveilleux, centre unique des choses...
Il siégeait, plus sublime et plus étincelant
Qu’un nuage, unissant dans leur splendeur commune,
L’éclair et l’arc-en-ciel, le soleil et la lune…
Tel était Bhagavat, visible à l’œil humain…[1] »


Les Brahmanes trouveront ici le repos : chacun d’eux sortira de la Maya, de l’Illusion, dont il est le prisonnier, pour se perdre dans Celui qui, à cette heure, lui est révélé comme l’Essence des Essences :

  1. « Bhagavat ». Poèmes Antiques.