Aller au contenu

Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
L’INDE

mal, à peu près comme ces petites boîtes symboliques que les artistes hindous enferment les unes dans les autres et qui vont se rapetissant indéfiniment, sans autre but que d’enfermer une autre boîte, de dimension inférieure à elles-mêmes.

Il faut donc s’attendre à ce que Brahma, débordant l’Infini sans limites, déconcerte le goût que le cerveau gréco-latin a, d’enfermer toutes les visions dans des formules précises[1]. Le premier étonnement du lecteur est de constater que, lorsque Brahma regarde en soi-même pour découvrir la cause première de son être, il aperçoit, tout d’abord, un autre Dieu :


« Il vit Celui que nul n’a vu, l’Âme des âmes,
Tel qu’un frais nymphéa dans une mer de flammes
D’où l’Être en millions de formes ruisselait…
À ses reins verdoyaient des forêts de bambous ;
Des lacs étincelaient dans ses paumes fécondes ;
Son souffle égal et pur faisait rouler les mondes
Qui jaillissaient de lui pour s’y replonger tous.
Un Acvatha touffu l’abritait de ses palmes ;
Et, dans la bienheureuse et sainte Inaction,
Il se réjouissait de sa perfection…[2] »


Le formidable de l’ensemble est rendu, dans ce poème, avec autant de précision que les détails les plus ténus. Dans l’énormité des mondes qui jaillissent du Dieu, et nous apercevons mille Vierges qui se baignent dans son ombre parfumée, on distingue « les clochettes d’or », suspendues à leurs « bras polis » ; la neige de leur gorge où « rougissent

  1. Un critique qui, à ses heures fut un poète, a écrit à propos des monstrueuses idoles de l’Olympe indien : « … Mieux que les belles divinités grecques, elles font courir en nous le frisson du mystère. La bizarrerie de leurs formes, la disproportion de leurs membres, l’absurdité de leur structure ne donnent point l’idée d’une personne, et découragent l’anthropomorphisme où nous sommes enclins. Elles n’ont poin de beauté, ni de laideur, mais des contours extravagants d’où l’harmonie est absente et qui, par une sorte d’indéfini terrible, symbolisent l’infini ». « Les Contemporains, Jules Lemaître, Deuxième série ».
  2. « La Vision de Brahma » . Poèmes Antiques.