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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

les roses. » À la droite du Dieu, on découvre Vichnou, le principe du Bien qui fait « sonner son carquois plein de rayons ; » à sa gauche on voit l’affreux Siva, l’œil creux, affamé, triste, « qui dévore l’Univers palpitant ». Au pied du trône, la Tortue antique soulève « le dos des mers » ; partout, la Terre, étale ses végétations et son décor, où, une gazelle que le tigre poursuit, est aussi visible que les cités, orgueil des hommes. Ce ne sont pas seulement toutes les formes, mais toutes les passions, — vertus, vices, désirs, haines, amours, maux, félicités — que l’Être-Principe enferme en soi-même.

Mais Brahma ne peut plus étouffer dans son sein le tourment qui le dévore. Il veut savoir la raison finale de cet Infini qu’il contient, et qui le dépasse :


« Qui suis-je ? Réponds-moi, Raison des Origines !
Suis-je l’âme d’un monde errant par l’infini,
Ou quelque antique Orgueil, de ses actes puni,
Qui ne peut remonter à ses sources divines ?…
Change en un miel divin mon immense amertume ;
Parle, fixe à jamais mes vœux irrésolus,
Afin que je m’oublie et que je ne sois plus,
Et que la vérité m’absorbe et me consume…[1] »


La voix de l’Esprit suprême, la voix de l’« Incréé, » répond à cet appel pathétique de « l’Éternel». Elle parle dans l’ineffable silence, elle dit comme elle a : « songé l’univers », mis son énergie : « au sein des apparences » :


« Toute chose depuis fermente, vit, s’achève ;
Mais rien n’a de substance et de réalité,
Rien n’est vrai que l’unique et morne Éternité.
Ô Brahma ! toute chose est le rêve d’un rêve.[2] »


Brahma ne se contente plus de cette réponse trop vague. Il veut savoir ce que recèle l’avenir : il ne demande pas de

  1. « La Vision de Brahma ». Poèmes Antiques.
  2. Ibid.