Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
L’INDE

richesses, il ne désire point de joies terrestres, d’illusions riantes ni passionnées, il ne veut que pouvoir se pencher sur le fond du monde mystérieux.

Ainsi harcelé par le Grand Tout, pressé de questions sur le mystère de la vie et de la mort, le Dieu intérieur élève une fois encore sa voix grave, immense, qui remplit les sept sphères du ciel, il commande :


« … N’interroge plus l’auguste vérité ![1] »


C’est que, sur ce sujet, les Dieux eux-mêmes ont douté, et que tous les êtres qui s’égarent sur cette route sans issue de la recherche vaine, sentent le sol manquer sous leurs pas : ils tombent dans le Néant. Et cette chute n’est pas la fin de toute angoisse, de toute misère. La notion même de ce Néant laisse, derrière soi, une dernière porte ouverte sur l’éternelle inquisition de l’esprit, en travail de certitude : qui sait, si, au-delà du Néant, on ne trouvera pas : Le Doute secret du Néant.

Cet aveu final de celui, que le poète nomme, d’après ses modèles hindous, « La Raison des Origines, » doit être retenu. Il explique, à travers l’œuvre entière du poète, des éclairs d’espérance, sinon de foi précise, qu’il serait injuste de considérer comme des faiblesses momentanées ou comme des contradictions puériles.

Cependant. Leconte de Lisle est sorti de sa longue communion avec la pensée et la poésie hindoue comme on sort d’un rêve poignant qui hantera toute la vie. C’est que, après avoir aperçu en soi — comme Brahma lui-même — l’angoissante inquiétude des problèmes dont l’humanité cherchera en vain la solution, le poète a acquis la certitude, — encore comme Brahma lui-même — que « toute Chose est le rêve d’un rêve ». Cette conviction est entrée dans ses moelles. Elle lui conseille, ainsi que de la sagesse, une vo-

  1. « La Vision de Brahma ». Poèmes Antiques.