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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

droit, il s’avisa en lisant le second Faust de Goethe, que la préoccupation de la Grèce circule à travers l’œuvre du grand écrivain allemand et nourrit son génie. Dès cette minute, Leconte de Lisle eut le regret de s’être, jusque-là, distraitement occupé de l’étude de la langue grecque. Il forma le projet de s’y adonner, comme à la discipline qu’il sentait la plus propre à former son talent : à travers sa vie entière le poète a tenu cet engagement que prenait son adolescence.

La première de ses œuvres que Leconte de Lisle ait eu la joie de voir imprimer fut un Essai sur André Chénier, publié, aux environs de sa vingtième année, dans la Revue : La Variété[1]. Il y déclarait apercevoir en Chénier : « … un de ces hommes qui reconstruisent les premières bases d’un monument littéraire et artistique immense, plus solide que ce qui l’a précédé… »

Dès cette minute, Leconte de Lisle se sent si vivifié par les contacts qu’il a, soit à travers Chénier, soit directement, avec la belle santé du génie grec, qu’il prend en dégoût la mélancolie allemande où, au sortir de l’enfance, il s’était complu. Dans les Latins il n’aperçoit que des « imitateurs des Grecs » et, à cause de cette absence d’originalité, il parle d’eux avec sévérité. D’autre part, il préfère ouvertement Dante à Virgile, et dans l’indifférence qu’il éprouve pour la littérature classique du XVIIe siècle — auquel il reproche d’avoir arrêté l’élan de la poésie créatrice et spontanée — il ne fait exception que pour l’œuvre de Corneille, et pour

  1. En 1840, étudiant à Rennes, Leconte de Lisle en collaboration avec Alexis Nicolas, Julien Roufiet et d’autres camarades, fonde une Revue : La Variété. Le jeune créole y publie des vers, des esquisses littéraires, des « Nouvelles », des articles « sur la solidarité humaine ». Il en devient le directeur. Faute d’argent pour payer des collaborateurs, il remplit, à lui seul, presque chaque fascicule, il signe de pseudonymes : « Charles », « Léonce », etc. La Variété ne dura qu’un an : en mars 1841, elle cessait de paraître.