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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

La multiple beauté, dont l’attraction lie
D’un lien d’amour, le ciel à la terre embellie…[1] »


Leconte de Lisle indique lui-même ici par quel lien il a enchaîné l’un à l’autre le culte instinctif qu’il a voué à la nature, à la passion qu’il se découvre pour la beauté et pour l’Art, — en qui la beauté se manifeste. Il le sent, l’Art n’est pas la seule reproduction de la nature, c’est la nature plus l’homme, plus un homme, plus un artiste. Et si jamais un engagement intérieur fut pris entre l’intelligence et la sensibilité d’un écrivain de génie, on peut dire que déjà Leconte de Lisle distingue clairement la voie où il veut marcher.

Dans la nouvelle qu’il publie à vingt-sept ans : Le Songe d’Hermann, le jeune écrivain met en scène deux personnages entre lesquels il provoque un dialogue dont la beauté est le sujet. Dans la bouche de l’un de ses protagonistes il place quelques-uns des « blasphèmes » dont il a été blessé à ses débuts dans les lettres : il fait dire à l’avocat du scepticisme :

« Voilà, il faut se faire sa place à la lueur des quinquets enfumés de la rampe, sur ce vaste théâtre où grimace l’humanité ! Ah ! j’ai étudié mon rôle, moi ! Je commence à rire assez agréablement de la Beauté, de Dieu… Que sais-je ? Il est bon de comprendre son siècle… »

Et Hermann, en qui Leconte de Lisle met toutes ses complaisances, riposte à l’impie :

« Quoi ? La Beauté n’est-elle donc pas ? Ces aspirations qui m’entraînent vers elle, cette admiration filiale du globe où je suis né, tout cela n’est-il donc point ? » Plus tard, Leconte de Lisle formulera, non plus en prose,

  1. Des fragments de ce poème — qu’on peut lire en entier dans : La Phalange, 1845 — ont été reproduits, par MM. Marius et Ary Leblond,
    dans leur intéressante et forte étude : Leconte de Lisle d’après des documents nouveaux, 1906.