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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/98

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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

qu’on s’étonne de n’avoir pas vue plus souvent signalée, et plus clairement mise en lumière.

Si Leconte de Lisle a si délibérément écarté ici, de l’image de sa Vénus, les reflets de volupté dont elle s’éclaire dans la légende grecque, ce n’est point dans un parti pris de cette pureté, un peu puritaine, dont, ailleurs, il a donné tant de preuves. Avec tous les écrivains supérieurs de son temps, il est d’avis, au contraire, que le scrupule de « moralité » ne se pose pas dès qu’il s’agit de la beauté véritable :

« … Le Royaume du Beau, écrit il, n’ayant d’autres limites que celles qui lui sont assignées par l’étendue même de la vision poétique — que celle-ci pénètre dans les sereines régions du bien, ou descende dans les abîmes du mal — elle est toujours vraie et légitime ![1] »

Dès les premières années de son existence à Paris, Leconte de Lisle a repris l’étude de ces chefs-d’œuvre grecs qui lont toujours passionné. Il achève une traduction de l’Iliade que ses éditeurs ont égarée et qui n’a jamais été publiée : « Autour de ces années, 1847 et 1848, écrit un témoin de sa vie, Leconte de Lisle vivait dans une sorte de rêve antique, en communion avec quelques nobles esprits hantés, comme lui, par le fervent désir de renouveler les études helléniques[2]. »

Avec cette passion qu’il apporte dans tous ses efforts d’art, le jeune poète contrôle déjà, à la clarté éblouissante de cette lumière grecque, qui éclaire, avec une impitoyable rigueur, les reliefs et les ombres — la forme qu’il donne à ses traductions aussi bien qu’à ses propres poèmes, imitations ou inspirations. Il connaît des heures de découragement profond.

Il a conté comment, lors du retour définitif en France,

  1. Préface pour les Fleurs du Mal de Baudelaire, 1861.
  2. Louis Tiercelin : Bretons de Lettres.