Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/296

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— Non ; j’en ai assez ! clamait le gros père, tout tremblant d’indignation. Que le diable vous emporte ! Je suis trop vieux, Madame, pour qu’on me fasse des avances. Je préfère encore mourir sur la grand-route !

Et, ajoutant en français : « Bonjour, Madame, comment vous portez-vous ? » il s’en fut à pied, en effet. La calèche le suivait. À la fin, mon oncle perdit patience et s’écria :

— Stépane Alexiévitch, ne fais pas l’imbécile ! En voilà assez ! Monte donc ; il est temps de rentrer.

— Laissez-moi ! répliqua Stépane Alexiévitch tout haletant, car son embonpoint le gênait pour marcher.

— Au galop ! ordonna Mizintchikov au cocher.

— Que dis-tu ? Que dis-tu ? Arrête !… voulut crier mon oncle ; mais la calèche était déjà lancée. Mizintchikov avait calculé juste ? Il obtint tout de suite le résultat qu’il avait escompté.

— Halte ! halte ! cria derrière nous une voix désespérée. Arrête, scélérat ! arrête, misérable !

Le gros homme parut enfin, brisé de fatigue, respirant à peine ; d’innombrables gouttes de sueur perlaient à son front ; il dénoua sa cravate et retira sa casquette. Très sombre, il monta dans