ce moment ! — oh ! mon Dieu ! — en voyant de mes propres yeux tous mes soupçons réalisés d’une si éclatante manière ? Mais il me restait encore un espoir, un faible espoir, il est vrai, mais quand même un espoir, et voici que vous le détruisez vous-même par cette lettre où vous me déclarez votre intention de vous marier et me suppliez de ne pas divulguer ce que j’ai vu… « Mais, pensai-je, pourquoi m’écrit-il seulement alors que je l’ai surpris, quand il aurait si bien pu le faire avant ? Pourquoi n’est-il pas accouru vers moi, heureux et beau, car l’amour embellit le visage ? pourquoi ne s’est-il pas jeté dans mes bras ? pourquoi n’est-il pas venu pleurer sur ma poitrine les larmes de son immense bonheur ? pourquoi ne m’a-t-il pas tout raconté, tout ? » Suis-je donc le crocodile qui vous aurait dévoré au lieu de vous donner un bon conseil ? Suis-je donc un répugnant cancrelat qui vous eût mordu au lieu d’aider à votre bonheur ? Je ne pus que me poser cette question : « Suis-je son ami ou le plus dégoûtant des insectes ? » Et je pensais : « Pourquoi, enfin, a-t-il fait venir son neveu de la capitale dans le but prétendu d’en faire l’époux de cette jeune fille, sinon pour nous tromper tous, y compris ce neveu trop léger, et poursuivre en secret son criminel projet ? » Non,
Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/351
Apparence