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Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/115

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il sortit sur la pointe du pied et descendit précipitamment.

Personne dans l’escalier ! Personne non plus sous la porte cochère ! Il franchit lestement le seuil et, une fois dans la rue, prit à gauche.

Il savait très-bien, il savait parfaitement que ceux qui le cherchaient étaient en ce moment dans le logis de la vieille et s’étonnaient de trouver ouverte la porte qui tantôt était fermée. « Ils sont en train de considérer le cadavre, pensait-il ; sans doute il ne leur faudra pas plus d’une minute pour deviner que le meurtrier a réussi à se dissimuler à leurs regards pendant qu’ils montaient l’escalier ; peut-être même soupçonneront-ils qu’il se tenait caché dans le logement vide du second étage, alors qu’eux se rendaient au quatrième. » Mais, tout en se faisant ces réflexions, il n’osait hâter sa marche, quoiqu’il eût encore cent pas à faire avant d’arriver au premier coin de rue. « Si je me glissais sous une porte cochère, dans quelque rue écartée, et que j’attendisse là pendant un moment ? Non, mauvais ! Si j’allais jeter ma hache quelque part ? Si je prenais une voiture ? Mauvais ! mauvais ! »

Enfin, un péréoulok s’offrit à lui ; il s’y engagea plus mort que vif. Là, il était à moitié sauvé, et il le comprenait : en cet endroit, les soupçons ne pouvaient guère se porter sur lui ; d’autre part, il lui était plus facile de se dérober à l’attention au milieu des passants. Mais toutes ces angoisses l’avaient tellement affaibli qu’il se tenait difficilement sur ses jambes. De grosses gouttes de sueur ruisselaient sur son visage ; il avait le cou tout moite : « Je crois que tu as ton compte ! » lui cria, comme il débouchait sur le canal, quelqu’un qui le prenait pour un homme ivre.

Il n’avait plus sa tête à lui ; plus il allait, plus ses idées s’obscurcissaient. Toutefois, quand il arriva sur le quai, il s’effraya d’y voir si peu de monde, et, craignant qu’on ne le remarquât dans un lieu si solitaire, il regagna le péréoulok.