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— Adressez-vous là, au chef de la chancellerie, reprit le scribe en indiquant du doigt la dernière pièce.

Raskolnikoff y entra. Cette chambre (la quatrième) était étroite et regorgeait de monde. Ici se trouvaient des gens vêtus un peu plus proprement que ceux qu’il venait de voir. Parmi les visiteurs, il y avait deux dames. L’une d’elles était en deuil. Sa mise dénotait la pauvreté. Assise en face du chef de la chancellerie, elle écrivait quelque chose sous la dictée de ce fonctionnaire.

L’autre dame avait des formes très-opulentes, un visage très-rouge et une toilette des plus luxueuses ; elle portait, notamment, sur la poitrine une broche de dimensions extraordinaires ; cette personne se tenait debout, un peu à l’écart, dans une attitude expectante. Raskolnikoff remit son papier au chef de la chancellerie. Celui-ci y jeta un rapide coup d’œil, dit : « Attendez un peu », et reprit le cours de sa dictée à la dame en deuil.

Le jeune homme respira plus librement. « Sans doute, ce n’est pas pour cela qu’on m’a appelé ! » Peu à peu, il reprenait courage, du moins il tâchait autant que possible de se remonter le moral.

« La moindre sottise, la plus petite imprudence suffit pour me trahir ! Hum… c’est dommage qu’il n’y ait pas d’air ici, ajouta-t-il, on étouffe… La tête me tourne plus que jamais… et l’esprit fait de même… »

Il sentait un malaise terrible dans tout son être et craignait de ne pouvoir rester maître de lui-même. Il cherchait à fixer sa pensée sur quelque objet tout à fait indifférent, mais il n’y réussissait guère. Son attention était captivée exclusivement par le chef de la chancellerie ; il s’ingéniait à déchiffrer le visage de cet employé. C’était un jeune homme de vingt-deux ans, dont la figure basanée et mobile paraissait plus vieille que cet âge. Vêtu avec l’élégance d’un petit maître, il avait les cheveux partagés sur l’occiput par une