Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/133

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

froissé, et vous-même vous n’aurez pas su vous contenir, poursuivit Nikodim Fomitch en s’adressant d’un ton aimable à Raskolnikoff, mais vous avez eu tort : c’est un ex-cel-lent homme, je vous assure, seulement il est vif, emporté ! Il s’échauffe, s’enflamme, et quand il a jeté son feu, c’est fini, il ne reste plus qu’un cœur d’or ! Au régiment, on l’avait surnommé : « le lieutenant poudre »…

— Et encore quel régiment c’était ! s’écria Ilia Pétrovitch, très-sensible aux délicates flatteries de son supérieur, mais boudant toujours néanmoins.

Raskolnikoff voulut soudain leur dire à tous quelque chose d’extraordinairement agréable.

— Pardonnez-moi, capitaine, commença-t-il du ton le plus dégagé, en s’adressant à Nikodim Fomitch, — mettez-vous à ma place… Je suis prêt à lui faire mes excuses, si de mon côté je me suis donné des torts envers lui. Je suis un étudiant malade, pauvre, accablé par la misère. J’ai quitté l’Université parce que je suis à présent sans moyen d’existence ; mais je dois recevoir de l’argent… Ma mère et ma sœur habitent le gouvernement de… Elles vont m’envoyer des fonds, et je… je payerai. Ma logeuse est une brave femme ; mais comme je ne donne plus de leçons et que depuis quatre mois je ne la paye pas, elle s’est fâchée et refuse même de m’envoyer à dîner… Je ne comprends rien à cet effet ! Ainsi, elle exige que je solde maintenant cette lettre de change : est-ce que je le puis ? Jugez-en vous-même…

— Mais ce n’est pas notre affaire… observa de nouveau le chef de la chancellerie.

— Permettez, permettez, je suis tout à fait de votre avis ; mais souffrez que je vous explique…, reprit Raskolnikoff en s’adressant toujours à Nikodim Fomitch et non au chef de la chancellerie ; il cherchait aussi à attirer l’attention d’Ilia Pétrovitch, bien que ce dernier affectât dédaigneusement de ne pas l’écouter et parût exclusivement occupé de ses