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Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/142

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Ne voyant personne dans la cour, Raskolnikoff franchit le seuil de la porte, et, après avoir promené ses regards autour de lui, se dit qu’aucun lieu ne lui offrirait plus de facilités pour l’accomplissement de son projet. Justement, contre le mur ou plutôt la clôture en bois qui bordait la rue à gauche de la porte était adossée une énorme pierre non équarrie, du poids de soixante livres environ.

De l’autre côté de la clôture c’était le trottoir, et le jeune homme entendait le bruit des passants toujours assez nombreux en cet endroit ; mais du dehors personne ne pouvait l’apercevoir ; il aurait fallu pour cela que quelqu’un pénétrât dans la cour, ce qui, du reste, n’avait rien d’impossible ; aussi devait-il se hâter.

Il se courba vers la pierre, la saisit des deux mains par le haut, et, en réunissant toutes ses forces, parvint à la renverser. Le sol, à l’endroit qu’elle occupait, s’était légèrement déprimé : il jeta aussitôt dans le creux tout ce qu’il avait en poche. La bourse fut mise par-dessus les bijoux, néanmoins le creux ne se trouva pas entièrement comblé. Ensuite il releva la pierre et réussit à la replacer juste où elle était auparavant ; tout au plus paraissait-elle un peu exhaussée. Mais il tassa avec son pied de la terre contre les bords. On ne pouvait rien remarquer.

Alors il sortit et se dirigea vers la place. Comme tantôt au bureau de police, une joie intense, presque impossible à supporter, s’empara encore de lui pour un instant. « Enterrées les pièces de conviction ! À qui l’idée viendra-t-elle d’aller chercher sous cette pierre ? Elle est peut-être là depuis qu’on a bâti la maison voisine, et Dieu sait combien de temps elle y restera encore ! Et quand même on découvrirait ce qui est caché là-dessous, qui peut soupçonner que c’est moi qui l’ai caché ? Tout est fini ! Il n’y a pas de preuves ! » Et il se mit à rire. Oui, il se rappela plus tard qu’il avait traversé la place en riant tout le temps, d’un