Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

petit rire nerveux, muet, prolongé. Mais quand il arriva au boulevard de K…, cette hilarité cessa subitement.

Toutes ses pensées tournaient maintenant autour d’un point principal dont lui-même s’avouait toute l’importance ; il sentait qu’à présent, pour la première fois depuis deux mois, il restait en tête-à-tête avec cette question.

« Mais que le diable emporte tout cela ! se dit-il dans un brusque accès de colère. Allons, le vin est tiré, il faut le boire ; peste soit de la nouvelle vie ! Que cela est bête, Seigneur !… Et que de mensonges j’ai débités, que de bassesses j’ai commises aujourd’hui ! Quelles honteuses platitude tantôt pour me concilier la bienveillance de l’exécrable Ilia Pétrovitch ! Mais, du reste, peu m’importe ! Je me moque d’eux tous et des lâchetés que j’ai pu commettre ! Ce n’est pas de cela qu’il s’agit ! Pas du tout !… »

Il s’arrêta soudain, dérouté, abasourdi par une question nouvelle, tout à fait inattendue et excessivement simple :

« Si réellement tu as agi dans toute cette affaire en homme intelligent et non en imbécile, si tu avais un but nettement tracé et fermement poursuivi, comment se fait-il donc que jusqu’ici tu n’aies pas même regardé ce qu’il y a dans la bourse ? Comment en es-tu encore à ignorer ce que te rapporte l’acte dont tu n’as pas craint d’assumer le danger et l’infamie ? Ne voulais-tu pas tout à l’heure jeter à l’eau cette bourse et ces bijoux auxquels tu as à peine donné un coup d’œil ?… À quoi cela ressemble-t-il ? »

Arrivé sur le quai de la petite Néwa, dans Vasili Ostroff, il s’arrêta brusquement près du pont. « C’est ici, c’est dans cette maison qu’il demeure, pensa-t-il. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il paraît que mes jambes m’ont conduit d’elles-mêmes au logis de Razoumikhine ! Encore la même histoire que l’autre jour… Mais c’est très curieux : je marchais sans but, et le hasard m’a amené ici ! N’importe ; je disais… avant-hier… que j’irais le voir après cela, le lendemain ; eh