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Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/221

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lui arrivait toujours dès qu’elle avait une minute de liberté, se promenait de long en large dans sa petite chambre ; elle allait de la fenêtre au poêle et vice versa, les bras croisés sur sa poitrine, se parlant à elle-même et toussant. Depuis quelque temps elle causait de plus en plus volontiers avec sa fille aînée, Polenka. Bien que cette enfant, âgée de dix ans, ne comprit pas encore grand’chose, cependant elle se rendait très-bien compte du besoin que sa mère avait d’elle ; aussi ses grands yeux intelligents étaient-ils sans cesse fixés sur Catherine Ivanovna, et dès que celle-ci lui adressait la parole, elle faisait tous ses efforts pour comprendre ou du moins pour en avoir l’air.

Maintenant Polenka déshabillait son jeune frère qui avait été souffrant toute la journée et qu’on allait coucher. En attendant qu’on lui ôtât sa chemise pour la laver pendant la nuit, le petit garçon, la mine sérieuse, était assis sur une chaise, silencieux et immobile. Il écoutait en faisant de grands yeux ce que sa maman disait à sa sœur. La petite Lidotchka, vêtue de véritables guenilles, attendait son tour, debout près du paravent. La porte donnant sur le carré était ouverte pour laisser sortir la fumée de tabac qui arrivait de l’appartement voisin et, à chaque instant, faisait cruellement tousser la pauvre poitrinaire. Catherine Ivanovna semblait aller plus mal encore depuis huit jours, et les sinistres taches de ses joues avaient pris un éclat plus vif que jamais.

— Tu ne peux t’imaginer, Polenka, disait-elle en se promenant dans la chambre, quelle existence gaie et brillante on menait chez papa, et combien nous sommes malheureux tous par le fait de cet ivrogne : Papa avait dans le service civil un emploi correspondant au grade de colonel ; il était presque gouverneur, il n’avait plus qu’un pas à faire pour arriver à ce poste ; aussi tout le monde lui disait : « Nous Vous considérons déjà, Ivan Mikhaïlitch, comme notre gou-