Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/236

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je ne suis plus du tout malade. Quand je suis sorti de chez moi tantôt, je savais bien que ma maladie se passerait. À propos : la maison Potchinkoff est à deux pas d’ici. Je vais aller chez Razoumikhine… Qu’il gagne son pari !… Qu’il s’amuse même à mes dépens ; n’importe !… La force est nécessaire, sans elle on ne fait rien ; mais c’est la force qui procure la force, voilà ce qu’ils ne savent pas », acheva-t-il avec assurance. Son audace, sa confiance en lui-même grandissaient de minute en minute. C’était une sorte de changement à vue qui s’opérait en lui.

Il trouva sans peine la demeure de Razoumikhine ; dans la maison Potchinkoff on connaissait déjà le nouveau locataire, et le dvornik indiqua tout de suite à Raskolnikoff le logement de son ami. Le bruit d’une réunion nombreuse et animée arrivait jusqu’au milieu de l’escalier. La porte donnant sur le carré était grande ouverte, on entendait des éclats de voix et des vociférations.

La chambre de Razoumikhine était assez vaste, la société se composait d’une quinzaine de personnes. Le visiteur s’arrêta dans l’antichambre. Là, derrière la cloison, il y avait deux grands samovars, des bouteilles, des assiettes, des plats chargés de pâtés et de hors-d’œuvre ; deux servantes de la logeuse se trémoussaient au milieu de tout cela. Raskolnikoff fit demander Razoumikhine. Celui-ci arriva tout joyeux. Au premier coup d’œil on voyait qu’il avait extraordinairement bu, et quoique, en général, il fût presque impossible à Razoumikhine de s’enivrer, cette fois son extérieur prouvait qu’il ne s’était pas ménagé.

— Écoute, commença aussitôt Raskolnikoff, je suis venu à seule fin de te dire que tu as gagné ton pari et que personne en effet ne sait ce qui peut lui arriver. Quant à entrer chez toi, non, je suis trop faible ; c’est à peine si je me tiens sur mes jambes. Ainsi, bonjour et adieu ! Mais, demain, passe chez moi…