Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que cela lui faisait plaisir, et papa le savait aussi. Maman veut m’apprendre le français, parce qu’il est déjà temps de commencer mon éducation.

— Mais vous savez prier ?

— Comment donc, si nous savons ! Depuis longtemps ! Moi, comme je suis la plus grande, je prie en mon particulier, Kolia et Lidotchka disent leurs prières tout haut avec maman. Ils récitent d’abord les litanies de la Sainte Vierge, ensuite une autre prière : « Dieu, accorde ton pardon et ta bénédiction à notre sœur Sonia », et puis ; « Dieu, accorde ton pardon et ta bénédiction à notre autre papa », car il faut vous dire que notre ancien papa est mort depuis longtemps ; celui-ci c’était un autre, mais nous prions aussi pour le premier.

— Poletchka, on m’appelle Rodion ; nommez-moi quelquefois dans vos prières : « Pardonne aussi à ton serviteur Rodion », — rien de plus.

— Toute ma vie, je prierai pour vous, répondit chaleureusement la petite fille, qui tout à coup se remit à rire, et de nouveau l’embrassa avec tendresse.

Raskolnikoff lui dit son nom, donna son adresse et promit de revenir le lendemain sans faute. L’enfant le quitta, enchantée de lui. Il était dix heures sonnées quand il sortit de la maison.

« Assez ! » se dit-il en s’éloignant, « arrière les spectres, les vaines frayeurs, les fantômes ! La vie ne m’a pas abandonné ! Est-ce que je ne vivais pas tout à l’heure ? Ma vie n’est pas morte avec la vieille femme ! Dieu fasse paix à votre âme, matouchka, mais il est temps aussi que vous laissiez la mienne en repos ! À présent que j’ai recouvré l’intelligence, la volonté, la force, nous allons bien voir ! À nous deux, maintenant ! » ajouta-t-il comme s’il eût adressé un défi à quelque puissance invisible.

« …Je suis très-faible en ce moment, mais… je crois que