Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/257

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cherché à serrer. Bref, le docteur se retira enchanté de sa visite et encore plus de lui-même.

— Demain nous causerons, maintenant couchez-vous tout de suite, il est temps que vous preniez du repos ! ordonna Razoumikhine qui sortit avec Zosimoff. Demain, à la première heure, je viendrai vous donner des nouvelles.

— Quelle ravissante jeune fille, tout de même, que cette Avdotia Romanovna ! observa avec l’accent le plus sincère Zosimoff, quand tous deux furent dans la rue.

— Ravissante ? Tu as dit ravissante ! hurla Razoumikhine, et, s’élançant sur le docteur, il le prit à la gorge. — Si tu oses jamais… Comprends-tu ? comprends-tu ? cria-t-il, tandis qu’il le tenait par le collet et le poussait contre le mur. — Tu as entendu ?

— Mais laisse-moi donc, diable d’ivrogne ! fit Zosimoff en essayant de se dégager ; puis, quand Razoumikhine l’eut lâché, il le regarda fixement et partit soudain d’un éclat de rire. L’étudiant restait debout devant lui, les bras ballants, sa figure s’était rembrunie.

— Naturellement, je suis un âne, dit-il d’un air sombre, — mais… toi aussi, tu en es un.

— Non, mon ami, je n’en suis pas un. Je ne rêve pas à des bêtises.

Ils continuèrent leur route sans se rien dire, et ce fut seulement quand ils arrivèrent près de la demeure de Raskolnikoff que Razoumikhine, très-préoccupé, rompit le silence.

— Écoute, dit-il à Zosimoff, tu es un excellent garçon, mais tu possèdes une jolie collection de vices : tu es, notamment, un voluptueux, un ignoble sybarite. Tu aimes tes aises, tu engraisses, tu ne sais rien te refuser. — Or je dis que cela est ignoble parce que cela mène droit à des saletés. Efféminé comme tu l’es, je ne comprends même pas comment tu peux être néanmoins un bon médecin et même un médecin dévoué. Il couche sur la plume (un docteur !) et il