— Pour sotte, elle l’est tout comme moi ; mais toi qui es intelligent, pourquoi restes-tu là couché comme un propre à rien ? Pourquoi ne voit-on jamais de ton argent ? Il paraît qu’autrefois tu allais donner des leçons, pourquoi maintenant ne fais-tu plus rien ?
— Je fais quelque chose… répondit sèchement, et comme malgré lui, Raskolnikoff.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Un travail…
— Quel travail ?
— Je pense, répondit-il sérieusement, après un silence.
Nastasia se tordit. Elle était d’un caractère gai ; mais quand elle riait, c’était d’un rire silencieux qui secouait toute sa personne et finissait par lui faire mal.
— Ça te rapporte beaucoup d’argent, de penser ? demanda-t-elle lorsqu’elle put parler.
— On ne peut pas aller donner des leçons, quand on n’a pas de bottes. D’ailleurs, je crache là-dessus.
— Prends garde que ton crachat ne te retombe sur la face.
— Pour ce qu’on gagne à donner des leçons ! Qu’est-ce qu’on peut faire avec quelques kopecks ? reprit-il d’un ton aigre en s’adressant plutôt à lui-même qu’à son interlocutrice.
— Tu voudrais acquérir tout d’un coup une fortune ?
Il la regarda d’un air étrange et resta un moment silencieux.
— Oui, une fortune, dit-il ensuite avec force.
— Doucement, tu me fais peur ; c’est que tu es terrible ! Faut-il t’aller chercher un petit pain blanc ?
— Comme tu voudras.
— Tiens, j’oubliais ! Il est venu une lettre pour toi en ton absence.
— Une lettre ! pour moi ? de qui ?