Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/70

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« Est-il possible que, dans mes embarras, j’aie mis tout mon espoir en Razoumikhine ? Est-ce que, vraiment, je n’attendrais mon salut que de lui ? » se demandait-il avec surprise.

Il réfléchissait, se frottait le front, et, tout à coup, après qu’il se fut mis longtemps l’esprit à la torture, une idée très-étrange jaillit à l’improviste dans son cerveau.

« Hum… oui, j’irai chez Razoumikhine, dit-il soudain du ton le plus calme, comme s’il eut pris une résolution définitive, — j’irai chez Razoumikhine à coup sûr… mais pas maintenant… J’irai le voir… le lendemain, quand cela sera fini et que mes affaires auront changé de face… »

À peine avait-il prononcé ces mots qu’il fit un brusque retour sur lui-même. « Quand cela sera fini ! s’écria-t-il avec un sursaut qui l’arracha du banc sur lequel il était assis, — mais est-ce que cela aura lieu ? Est-ce que c’est possible ? »

Il quitta le banc et s’éloigna d’un pas rapide. Son premier mouvement était de retourner chez lui, mais quoi ! rentrer dans cette affreuse petite chambre où il venait de passer plus d’un mois à préméditer tout cela ! À cette pensée, le dégoût s’empara de lui, et il se mit à marcher à l’aventure.

Son tremblement nerveux avait pris un caractère fébrile ; il se sentait frissonner ; nonobstant l’élévation de la température, il avait froid. Presque à son insu, cédant à une sorte de nécessité intérieure, il s’efforçait de fixer son attention sur les divers objets qu’il rencontrait, pour échapper à l’obsession d’une idée troublante. Mais vainement il essayait de se distraire, à chaque instant il retombait dans sa rêverie. Quand il avait levé la tête pour promener ses regards autour de lui, il oubliait une minute après ce à quoi il venait de penser et le lieu même où il était. Ce fut ainsi que Raskolnikoff traversa tout Vasili Ostroff, déboucha sur la Petite-Néwa, passa le pont et arriva aux îles.

La verdure et la fraîcheur réjouirent d’abord ses yeux