Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/94

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vieille pour tâter définitivement le terrain), il s’en était fallu de beaucoup qu’il eût répété sérieusement. Acteur sans conviction, il n’avait pu soutenir son rôle et s’était enfui indigné contre lui-même.

Pourtant, au point de vue moral, Raskolnikoff avait lieu de considérer la question comme résolue. Sa casuistique, aiguisée comme un rasoir, avait tranché toutes les objections, mais, n’en rencontrant plus dans son esprit, il s’efforçait d’en trouver au dehors. On eût dit qu’entraîné par une puissance aveugle, irrésistible, surhumaine, il cherchait désespérément un point fixe auquel il pût se raccrocher. Les incidents si imprévus de la veille agissaient sur lui d’une façon presque absolument automatique. Tel un homme qui a laissé prendre le pan de son habit dans une roue d’engrenage est bientôt saisi lui-même par la machine.

La première question qui l’occupait, et à laquelle, du reste, il avait songé bien des fois, était celle-ci : Pourquoi presque tous les crimes sont-ils si facilement découverts, et pourquoi retrouve-t-on si aisément les traces de presque tous les coupables ?

Il arriva peu à peu à diverses conclusions curieuses. Selon lui, la principale raison du fait était moins dans l’impossibilité matérielle de cacher le crime que dans la personnalité même du criminel : presque toujours ce dernier se trouvait éprouver, au moment du crime, une diminution de la volonté et de l’entendement ; c’est pourquoi il se conduisait avec une étourderie enfantine, une légèreté phénoménale, alors même que la circonspection et la prudence lui étaient le plus nécessaires.

Raskolnikoff assimilait cette éclipse du jugement et cette défaillance de la volonté à une affection morbide qui se développait par degrés, atteignait son maximum d’intensité peu avant la perpétration du crime, subsistait sous la même forme au moment du crime et encore quelque temps