Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

après (plus ou moins longtemps suivant les individus), pour cesser ensuite, comme cessent toutes les maladies. Un point à éclaircir était celui de savoir si la maladie détermine le crime ou si le crime lui-même, en vertu de sa nature propre, n’est pas toujours accompagné de quelque phénomène morbide ; mais le jeune homme ne se sentait pas encore capable de résoudre cette question.

En raisonnant de la sorte, il se persuada que lui, personnellement, il était à l’abri de semblables bouleversements moraux, qu’il conserverait la plénitude de son intelligence et de sa volonté pendant toute la durée de son entreprise, par cette seule raison que son entreprise « n’était pas un crime »… Nous ne rapporterons pas la série des arguments qui l’avaient conduit à cette dernière conclusion. Bornons-nous à dire que, dans ses préoccupations, le côté pratique, les difficultés purement matérielles d’exécution restaient tout à fait à l’arrière-plan. « Que je conserve seulement ma présence d’esprit, ma force de volonté, et, quand le moment d’agir sera venu, je triompherai de tous les obstacles… » Mais il ne se mettait pas à l’œuvre. Moins que jamais il croyait à la persistance finale de ses résolutions, et, quand l’heure sonna, il se réveilla comme d’un rêve.

Il n’était pas encore au bas de l’escalier qu’une circonstance fort insignifiante vint le dérouter. Arrivé sur le palier où habitait sa logeuse, il trouva grande ouverte, comme toujours, la porte de la cuisine et jeta discrètement un coup d’œil dans cette pièce : en l’absence de Nastasia, la logeuse elle-même n’était-elle pas là, et, si elle n’y était pas, avait-elle bien fermé la porte de sa chambre ? Ne pouvait-elle pas le voir de chez elle, lorsqu’il entrerait pour prendre la hache ? Voilà ce dont il voulait s’assurer. Mais quelle ne fut pas sa stupeur en constatant que cette fois Nastasia était dans sa cuisine ! Qui plus est, elle était occupée : elle tirait du linge d’un panier et l’étendait sur des cordes. À l’appa-