Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/96

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rition du jeune homme, la servante, interrompant son travail, se tourna vers lui et le regarda jusqu’à ce qu’il se fût éloigné.

Il détourna les yeux et passa sans avoir l’air de rien remarquer. Mais c’était une affaire finie ; il n’avait point de hache ! Cette déconvenue lui porta un coup terrible.

« Et où avais-je pris, pensait-il en descendant les dernières marches de l’escalier, où avais-je pris que juste à ce moment-là Nastasia serait infailliblement sortie ? Comment, m’étais-je mis cela dans la tête ? »

Il était écrasé, comme anéanti. Dans son dépit, il éprouvait un besoin de se moquer de lui-même. Une colère sauvage bouillonnait dans tout son être.

Il s’arrêta indécis sous la porte cochère. Aller dans la rue, sortir sans but, pour la frime, il n’en avait pas la moindre envie, mais il lui était encore plus désagréable de remonter chez lui. « Dire que j’ai perdu pour toujours une si belle occasion ! » grommelait-il, debout en face de l’obscure loge du dvornik, laquelle était ouverte aussi.

Tout à coup, il tressaillit. Dans la loge, à deux pas de Raskolnikoff, quelque chose brillait sous un banc à gauche … Le jeune homme regarda autour de lui, — personne. Il s’approcha tout doucement de la loge, descendit deux petites marches et appela d’une voix faible le dvornik. « Allons, il n’est pas chez lui ! Du reste, il ne doit pas être allé loin, puisqu’il a laissé sa porte ouverte. » Prompt comme l’éclair, il s’élança vers la hache (c’en était une) et la tira de dessous le banc où elle reposait entre deux bûches. Ensuite, il passa l’arme dans le nœud coulant, fourra ses mains dans ses poches et sortit de la loge. Personne ne le remarqua ! « Ce n’est pas l’intelligence qui m’a aidé ici, c’est le diable ! » pensa-t-il avec un sourire étrange. L’heureuse chance qui venait de lui échoir contribua puissamment à l’encourager.

Une fois dans la rue, il marcha tranquillement, gravement,