Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/11

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nuyais, m’engagea à faire un voyage à l’étranger. Mais quoi ! j’avais déjà visité l’Europe, et toujours je m’y étais affreusement déplu. Là, sans doute, les grands spectacles de la nature sollicitent votre admiration, mais, tandis que vous contemplez un lever de soleil, la mer, la baie de Naples, vous vous sentez triste, et le plus vexant, c’est que vous ne savez pas pourquoi. Non, on est mieux chez nous. Ici, du moins, on accuse les autres de tout, et l’on se justifie à ses propres yeux. Maintenant je partirais peut-être pour une expédition au pôle nord, parce que le vin qui était ma seule ressource a fini par me dégoûter. Je ne peux plus boire. J’ai essayé. Mais on dit qu’il y a une ascension aérostatique dimanche au jardin Ioussoupoff : Berg tente, paraît-il, un grand voyage aérien, et il consent à prendre des compagnons de route, moyennant un certain prix, est-ce vrai ?

— Vous avez envie de partir en ballon ?

— Moi ? Non… oui… murmura Svidrigaïloff, qui semblait devenu rêveur.

« Qu’est-ce bien que cet homme-là ? » pensa Raskolnikoff.

— Non, la lettre de change ne me gênait pas, continua Svidrigaïloff ; c’est de mon plein gré que je restais au village. Il y aura bientôt un an, Marfa Pétrovna, à l’occasion de ma fête, m’a rendu ce papier en y joignant une somme importante à titre de cadeau. Elle avait beaucoup d’argent. « Voyez quelle confiance j’ai en vous, Arcade Ivanovitch », m’a-t-elle dit. Je vous assure qu’elle s’est exprimée ainsi ; vous ne le croyez pas ? Mais, vous savez, je remplissais fort bien mes devoirs de propriétaire rural ; on me connaît dans le pays. De plus, pour m’occuper, je faisais venir des livres ; Marfa Pétrovna, dans le principe, approuvait mon goût pour la lecture, mais plus tard elle craignit que je ne me fatiguasse par trop d’application.

— Il semble que la mort de Marfa Pétrovna vous ait laissé un vide ?