Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/110

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ils m’auraient pour adversaire ! En attendant, je continue à développer Sophie Séménovna. C’est une belle, très-belle nature !

— Et vous profitez de cette belle nature ? Hé, hé !

— Non, non, pas du tout ! Au contraire !

— Au contraire ! dit-il. Hé ! hé ! hé !

— Vous pouvez m’en croire : pour quelles raisons, je vous prie, me cacherais-je de vous ? Au contraire, il y a même une chose qui m’étonne : avec moi elle semble gênée, elle a comme une pudeur craintive !

— Et, bien entendu, vous la développez… hé ! hé ! Vous lui prouvez que toutes ces pudeurs sont idiotes ?

— Pas du tout ! pas du tout ! Oh ! quel sens grossier, bête même — pardonnez-moi — vous donnez au mot : développement ! Ô mon Dieu, que vous êtes encore… peu avancé ! Vous ne comprenez rien ! Nous cherchons la liberté de la femme, et vous ne pensez qu’à la bagatelle… En laissant de côté la question de la chasteté et de la pudeur féminine, choses en elles-mêmes inutiles et même absurdes, j’admets parfaitement sa réserve vis-à-vis de moi, attendu qu’en cela elle ne fait qu’user de sa liberté, exercer son droit. Assurément, si elle me disait elle-même : « Je veux t’avoir », j’en serais très-heureux, car cette jeune fille me plaît beaucoup ; mais dans l’état présent des choses personne, sans doute, ne s’est jamais montré plus poli et plus convenable avec elle que moi ; personne n’a jamais rendu plus de justice à son mérite… j’attends et j’espère — voilà tout !

— Faites-lui plutôt un petit cadeau. Je parie que vous n’avez pas encore pensé à cela.

— Vous ne comprenez rien, je vous l’ai déjà dit ! Sans doute sa situation semble autoriser vos sarcasmes, mais la question est tout autre ! Vous n’avez que du mépris pour elle. Vous fondant sur un fait qui vous paraît à tort déshonorant, vous refusez de considérer avec humanité une créa-