aux coudes ? Va-t’en, maraud ! « Il fit demi-tour, sortit et ne revint plus. Je n’en ai pas parlé à Marfa Pétrovna. Mon intention était d’abord de faire dire une messe pour lui, mais j’ai réfléchi ensuite que ce serait de l’enfantillage.
— Allez voir un médecin.
— Votre observation est superflue, je comprends moi-même que je suis malade, bien que, à la vérité, je ne sache pas de quoi ; selon moi, je me porte cinq fois mieux que vous. Je ne vous ai pas demandé : croyez-vous qu’on voie des apparitions ? ma question était celle-ci : Croyez-vous qu’il y ait des apparitions ?
— Non, certes, je ne le crois pas ! répliqua vivement et même avec colère le jeune homme.
— Que dit-on ordinairement ? murmura en manière de soliloque Svidrigaïloff, qui, la tête un peu inclinée, regardait de côté. — Les gens vous disent : « Vous êtes malade, par conséquent ce qui vous apparaît n’est qu’un rêve dû au délire. » Ce n’est pas raisonner avec une logique sévère. J’admets que les apparitions ne se montrent qu’aux malades, mais cela prouve seulement qu’il faut être malade pour les voir, et non qu’elles n’existent pas en soi.
— Certainement, elles n’existent pas ! reprit violemment Raskolnikoff.
Svidrigaïloff le considéra longuement.
— Elles n’existent pas ? c’est votre avis ? Mais ne pourrait-on pas se dire ceci : « Les apparitions sont, en quelque sorte, des fragments, des morceaux d’autres mondes. L’homme sain, naturellement, n’a pas de raison pour les voir, attendu que l’homme sain est surtout un homme matériel, par conséquent il doit, pour être dans l’ordre, vivre de la seule vie d’ici-bas. Mais dès qu’il vient à être malade, dès que se détraque l’ordre normal, terrestre, de son organisme, aussitôt commence à se manifester la possibilité d’un autre monde ; à mesure que sa maladie s’aggrave, ses