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Amalia Ivanovna, semblable à une furie, allait et venait dans la chambre, hurlant de rage et jetant par terre tout ce qui lui tombait sous la main. Parmi les locataires, ceux-ci commentaient l’événement ; ceux-là se disputaient ; d’autres entonnaient des chansons…

« Il est temps que je m’en aille ! » pensa Raskolnikoff. — « Eh bien ! Sophie Séménovna, nous allons voir un peu ce que vous direz maintenant ! »

Et il se rendit à la demeure de Sonia.

IV

Raskolnikoff avait vaillamment plaidé la cause de Sonia contre Loujine, quoiqu’il eût lui-même sa grosse part de soucis et de chagrins. Indépendamment de l’intérêt qu’il portait à la jeune fille, il avait saisi avec joie, après la torture du matin, l’occasion de secouer des impressions devenues insupportables. D’un autre côté, sa prochaine entrevue avec Sonia le préoccupait, l’effrayait même par moments : il devait lui révéler qui avait tué Élisabeth, et, pressentant tout ce que cet aveu aurait de pénible pour lui, il s’efforçait d’en détourner sa pensée.

Quand, au sortir de chez Catherine Ivanovna, il s’était écrié : « Eh bien ! Sophie Séménovna, que direz-vous maintenant ? » c’était le combattant excité par la lutte, tout chaud encore de sa victoire sur Loujine, qui avait prononcé cette parole de défi. Mais, chose singulière, lorsqu’il arriva au logement de Kapernaoumoff, son assurance l’abandonna tout à coup, pour faire place à la crainte. Il s’arrêta indécis devant la porte et se demanda : « Faut-il dire qui a tué Élisabeth ? » La question était étrange, car au moment où il se