Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/159

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sans cesser de le regarder fixement. Son effroi se communiqua au jeune homme qui, lui-même, se mit à la considérer d’un air effaré.

— As-tu deviné ? murmura-t-il enfin.

— Seigneur ! s’écria Sonia.

Puis elle tomba sans forces sur le lit, et son visage s’enfonça dans l’oreiller. Mais, un instant après, elle se releva par un mouvement rapide, s’approcha de lui, et, le saisissant par les deux mains, que ses petits doigts serrèrent comme des tenailles, elle attacha sur lui un long regard. Ne s’était-elle pas trompée ? Elle l’espérait encore ; mais elle n’eut pas plus tôt jeté les yeux sur le visage de Raskolnikoff que le soupçon dont son âme avait été traversée se changea en certitude.

— Assez, Sonia, assez ! Épargne-moi ! supplia-t-il d’une voix plaintive.

L’événement contrariait toutes ses prévisions, car ce n’était certes pas ainsi qu’il comptait faire l’aveu de son crime.

Sonia semblait hors d’elle-même ; elle sauta à bas de son lit et alla jusqu’au milieu de la chambre en se tordant les mains, puis elle revint brusquement sur ses pas et se rassit à côté du jeune homme, le touchant presque de l’épaule. Tout à coup elle frissonna, poussa un cri et, sans savoir elle-même pourquoi, tomba à genoux devant Raskolnikoff.

— Vous vous êtes perdu ! fit-elle avec un accent désespéré.

Et, se relevant soudain, elle se jeta à son cou, l’embrassa, lui prodigua des témoignages de tendresse.

Raskolnikoff se dégagea et, avec un triste sourire, considéra la jeune fille :

— Je ne te comprends pas, Sonia. Tu m’embrasses après que je t’ai dit cela… Tu n’as pas conscience de ce que tu fais.

Elle n’entendit pas cette remarque.