Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/162

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chaînes de montre… Ces objets, ainsi que la bourse, je les ai cachés, le lendemain matin, sous une grosse pierre, dans une cour qui donne sur la perspective de V… Tout est encore là…

Sonia écoutait avidement.

— Mais pourquoi donc n’avez-vous rien pris, puisque vous dites que vous avez tué pour voler ? répliqua-t-elle, se raccrochant à un dernier et bien vague espoir.

— Je ne sais pas… je n’ai pas encore décidé si je prendrais ou non cet argent, répondit Raskolnikoff de la même voix hésitante ; puis il sourit : — Quelle bête d’histoire je viens de te raconter, hein ?

« Ne serait-il pas fou ? » se demanda Sonia. Mais elle repoussa aussitôt cette idée : non, il y avait autre chose. Décidément elle n’y comprenait rien !

— Sais-tu ce que je vais te dire, Sonia ? reprit-il d’un ton pénétré : si le besoin seul m’avait conduit à l’assassinat, poursuivit-il en appuyant sur chaque mot, et son regard, bien que franc, avait quelque chose d’énigmatique, je serais maintenant… heureux ! Sache cela !

— Et que t’importe le motif, puisque j’ai avoué tout à l’heure que j’avais mal agi ? s’écria-t-il avec désespoir, un moment après. À quoi bon ce sot triomphe sur moi ? Ah ! Sonia, est-ce pour cela que je suis venu chez toi ?

Elle voulait encore parler, mais elle se tut.

— Hier je t’ai proposé de faire route avec moi, parce que je n’ai plus que toi.

— Pourquoi voulais-tu m’avoir avec toi ? demanda timidement la jeune fille.

— Pas pour voler ni pour tuer, sois tranquille, répondit Raskolnikoff avec un sourire caustique ; nous ne sommes pas gens du même bord… Et, sais-tu, Sonia ? j’ai seulement compris tout à l’heure pourquoi je t’invitais hier à venir avec moi. Quand je t’ai fait cette demande, je ne savais pas