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V

André Séménovitch avait la figure bouleversée.

— Je viens vous trouver, Sophie Séménovna. Excusez-moi… Je m’attendais bien à vous rencontrer ici, dit-il brusquement à Raskolnikoff, — c’est-à-dire je ne m’imaginais rien de mal… ne croyez pas… mais justement je pensais… Catherine Ivanovna est revenue à son logis, elle est folle, acheva-t-il en s’adressant de nouveau à Sonia.

La jeune fille poussa un cri.

— Du moins, elle en a l’air. Au reste… nous sommes là sans savoir que faire, voilà ! On l’a chassée de l’endroit où elle était allée, peut-être même l’a-t-on mise à la porte avec des coups… du moins c’est ce qu’il semble… Elle a couru chez le chef de Simon Zakharitch et ne l’a pas trouvé, il dînait chez un de ses collègues. Eh bien, le croirez-vous ? elle s’est rendue aussitôt au domicile de cet autre général et a insisté pour voir le chef de Simon Zakharitch, qui était encore à table. Naturellement, on l’a mise à la porte. Elle raconte qu’elle l’a accablé d’injures et lui a même jeté quelque chose à la tête. Comment ne l’a-t-on pas arrêtée ? je n’en sais rien ! Elle expose maintenant ses projets à tout le monde, y compris Amalia Ivanovna ! Seulement son agitation est telle qu’on ne saisit pas grand’chose dans ce flux de paroles… Ah ! oui ; elle dit que, comme il ne lui reste plus aucune ressource, elle va jouer de l’orgue dans la rue, ses enfants chanteront et danseront pour solliciter la charité des passants ; tous les jours, elle ira se placer sous les fenêtres du général… « On verra, dit-elle, les enfants d’une famille noble demander l’aumône dans les rues ! » Elle bat tous ses