Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/186

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Cependant Catherine Ivanovna était un peu plus calme, et l’hémorrhagie avait momentanément cessé. L’infortunée attacha un regard maladif, mais fixe et pénétrant, sur la pauvre Sonia, qui, pâle et tremblante, lui épongeait le front avec un mouchoir. À la fin, elle demanda à être mise sur son séant. On l’assit sur le lit en la soutenant de chaque côté.

— Où sont les enfants ? questionna-t-elle d’une voix faible. Tu les as ramenés, Polia ? Oh ! les imbéciles !… Eh bien ! pourquoi vous étiez-vous enfuis ?… Oh !

Le sang couvrait encore ses lèvres desséchées. Elle promena ses yeux autour de la chambre.

— Ainsi, voilà comme tu vis, Sonia !… Je n’étais pas venue une seule fois chez toi… il a fallu cela pour m’y amener…

Elle jeta sur la jeune fille un regard de pitié.

— Nous t’avons grugée, Sonia… Polia, Léna, Kolia, venez ici… Allons, les voilà, Sonia, prends-les tous… Je les remets entre tes mains… moi, j’en ai assez !… Le bal est fini ! Ah !… lâchez-moi, laissez-moi mourir tranquillement.

On lui obéit ; elle se laissa retomber sur l’oreiller.

— Quoi, un prêtre ?… Je n’en ai pas besoin… Est-ce que vous avez un rouble de trop, par hasard ?… Je n’ai pas de péchés sur la conscience !… Et quand même, Dieu doit me pardonner… Il sait combien j’ai souffert !… S’il ne me pardonne pas, tant pis !…

Ses idées se troublaient de plus en plus. Parfois elle tressaillait, regardait autour d’elle et reconnaissait durant une minute ceux qui l’entouraient, mais aussitôt après le délire la reprenait. Elle respirait péniblement, on entendait comme un bouillonnement dans son gosier.

— Je lui dis : « Excellence !… » criait-elle en s’arrêtant, après chaque mot : — Cette Amalia Ludvigovna… Ah ! Léna, Kolia ! la main sur la hanche, vivement, vivement, glissez, glissez, pas de basque ! Frappe des pieds… sois un gracieux enfant.