Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/189

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comme je vous l’ai dit, j’en ai qui ne me sert pas. Cette Poletchka et ces deux mioches, je les ferai entrer dans un orphelinat où ils seront bien, et je placerai une somme de quinze cents roubles sur la tête de chacun d’eux jusqu’à leur majorité, pour que Sophie Séménovna n’ait pas à s’occuper de leur entretien. Quant à elle, je la retirerai du bourbier, car c’est une brave fille, n’est-ce pas ? Eh bien, vous pouvez dire à Avdotia Romanovna quel emploi j’ai fait de son argent.

— Dans quel but êtes-vous si généreux ? demanda Raskolnikoff.

— E-eh ! sceptique que vous êtes ! répondit en riant Svidrigaïloff ; je vous ai dit que cet argent ne m’était pas nécessaire. Eh bien, j’agis simplement par humanité. Est-ce que vous n’admettez pas cela ? Après tout, ajouta-t-il en indiquant du doigt le coin où reposait la défunte, cette femme-là n’était pas une « vermine », comme certaine vieille usurière. Convenez-en, valait-il mieux « qu’elle mourût et que Loujine vécût pour commettre des infamies » ? Sans mon aide, Poletchka, par exemple, serait condamnée à la même existence que sa sœur…

Son ton gaiement malicieux était plein de sous-entendus, et, pendant qu’il parlait, il ne quittait pas des yeux le visage de Raskolnikoff. Ce dernier pâlit et se sentit frissonner en entendant les expressions presque textuelles dont il s’était servi dans sa conversation avec Sonia. Il recula brusquement et regarda Svidrigaïloff d’un air étrange :

— Comment… savez-vous cela ? balbutia-t-il.

— Mais j’habite là, de l’autre côté du mur, dans le logement de madame Resslich, ma vieille et excellente amie. Je suis le voisin de Sophie Séménovna.

— Vous ?

— Moi, continua Svidrigaïloff qui riait à se tordre, — et je vous donne ma parole d’honneur, très-cher Rodion Roma-