Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/212

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Accoudé contre la table, Raskolnikoff fourrageait sa chevelure. Porphyre Pétrovitch attendait sans donner aucun signe d’impatience. Tout à coup le jeune homme regarda avec mépris le magistrat :

— Vous revenez à vos anciennes pratiques, Porphyre Pétrovitch ! Ce sont toujours les mêmes procédés : comment cela ne vous ennuie-t-il pas, à la fin ?

— Eh ! laissez donc mes procédés ! Ce serait autre chose si nous étions en présence de témoins, mais nous causons ici en tête-à-tête. Vous le voyez vous-même, je ne suis pas venu pour vous chasser et vous prendre comme un gibier. Que vous avouiez ou non, en ce moment cela m’est égal. Dans un cas comme dans l’autre, ma conviction est faite.

— S’il en est ainsi, pourquoi êtes-vous venu ? demanda avec irritation Raskolnikoff. — Je vous répète la question que je vous ai déjà faite : si vous me croyez coupable, que ne lancez-vous un mandat d’arrêt contre moi ?

— Voilà une question ! Je vous répondrai point par point : d’abord, votre arrestation ne me servirait à rien.

— Comment, elle ne vous servirait à rien ! Du moment où vous êtes convaincu, vous devez…

— Eh ! qu’importe ma conviction ? Jusqu’à présent elle ne repose que sur des nuages. Et pourquoi vous mettrais-je en repos ? Vous le savez vous-même, puisque vous demandez vous-même à y être mis. Je suppose que, confronté avec le bourgeois, vous lui disiez : « Avais-tu bu, oui ou non ? Qui m’a vu avec toi ? Je t’ai simplement pris pour un homme ivre, ce que tu étais », — que pourrai-je répliquer, d’autant plus que votre réponse sera plus vraisemblable que sa déposition qui est de pure psychologie, et qu’en outre dans l’espèce vous tomberez juste, car le drôle est connu pour être un ivrogne ? Plusieurs fois déjà je vous ai moi-même avoué avec franchise que toute cette psychologie est à deux fins, et qu’en dehors d’elle je n’ai rien contre vous pour le