Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/215

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Raskolnikoff le regarda d’un air grave et triste.

— Eh ! ne faites pas fi de la vie ! continua le juge d’instruction : — elle est encore longue devant vous. Comment, vous ne voulez pas d’une diminution de peine ! Vous êtes bien difficile !

— Qu’aurai-je désormais en perspective ?

— La vie ! Êtes-vous prophète pour savoir ce qu’elle vous réserve ? Cherchez, et vous trouverez. Dieu vous attendait peut-être là. D’ailleurs, vous ne serez pas condamné à perpétuité…

— J’obtiendrai des circonstances atténuantes… fit en riant Raskolnikoff.

— C’est, à votre insu peut-être, une honte bourgeoise qui vous empêche de vous avouer coupable ; il faut vous mettre au-dessus de cela.

— Oh ! je m’en moque ! murmura d’un ton méprisant le jeune homme. Il fit encore mine de se lever, puis se rassit, en proie à un abattement visible.

— Vous êtes défiant et vous pensez que je cherche grossièrement à vous leurrer, mais avez-vous déjà beaucoup vécu ? Que savez-vous de l’existence ? Vous avez imaginé une théorie, et elle a abouti en pratique à des conséquences dont le peu d’originalité maintenant vous fait honte ! Vous avez commis un crime, c’est vrai, mais vous n’êtes pas, il s’en faut de beaucoup, un criminel perdu sans retour. Quelle est mon opinion sur votre compte ? Je vous considère comme un de ces hommes qui se laisseraient arracher les entrailles en souriant à leurs bourreaux, pourvu seulement qu’ils aient trouvé une foi ou un Dieu. Eh bien, trouvez-les, et vous vivrez. D’abord, il y a longtemps que vous avez besoin de changer d’air. Ensuite, la souffrance est une bonne chose. Souffrez. Mikolka a peut-être raison de vouloir souffrir. Je sais que vous êtes un sceptique, mais, sans raisonner, abandonnez-vous au courant de la vie : il vous portera quelque