Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/216

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part. Où ? Ne vous en inquiétez pas, vous aborderez toujours à un rivage. Lequel ? je l’ignore, je crois seulement que vous avez encore longtemps à vivre. Sans doute à présent vous vous dites que je joue mon jeu de juge d’instruction ; mais peut-être plus tard vous vous rappellerez mes paroles et vous en ferez votre profit ; voilà pourquoi je vous tiens ce langage. C’est encore bien heureux que vous n’ayez tué qu’une méchante vieille femme. Avec une autre théorie, vous auriez commis une action cent millions de fois pire. Vous pouvez encore remercier Dieu : qui sait ? peut-être a-t-il des desseins sur vous. Ayez donc du courage et ne reculez point, par pusillanimité, devant ce qu’exige la justice. Je sais que vous ne me croyez pas, mais avec le temps vous reprendrez goût à la vie. Aujourd’hui il vous faut seulement de l’air, de l’air, de l’air !

Raskolnikoff eut un frisson.

— Mais qui êtes-vous, s’écria-t-il, pour me faire ces prophéties ? Quelle haute sagesse vous permet de deviner mon avenir ?

— Qui je suis ? Je suis un homme fini, rien de plus. Un homme sensible et compatissant à qui l’expérience a peut-être appris quelque chose, mais un homme complétement fini. Vous, c’est une autre affaire : vous êtes au début de l’existence, et cette aventure, qui sait ? ne laissera peut-être aucune trace dans votre vie. Pourquoi tant redouter le changement qui va s’opérer dans votre situation ? Est-ce le bien-être qu’un cœur comme le vôtre peut regretter ? Vous affligez-vous de vous voir pour longtemps confiné dans l’obscurité ? Mais il dépend de vous que cette obscurité ne soit pas éternelle. Devenez un soleil, et tout le monde vous apercevra. Pourquoi souriez-vous encore ? Vous vous dites que ce sont là propos de juge d’instruction ? C’est bien possible, hé ! hé ! hé ! Je ne vous demande pas de me croire sur parole, Rodion Romanovitch, — je fais mon métier, j’en conviens ; seulement voici